L'imaginarium du docteur Parnassus
Par Rodolphe le lundi, octobre 5 2009, 20:41 - Lien permanent
Réalisé par Terry Gilliam (scénario de Terry Gilliam et Charles McKeown, avec Heath Ledger, Christopher Plummer, Lily Cole, Tom Waits… ainsi que Johnny Depp, Colin Farrell et Jude Law de l’autre côté du miroir)
Londres, par une nuit froide et sans lune, une antique roulotte aux dimensions improbables, toute de guingois, biscornue et brinquebalante, s’arrête au cœur de la City endormie. Ses occupants, farfadets en guenilles, s’affairent à déployer ses atours baroques et une musique mécanique de fête foraine jaillit de ses entrailles, haranguant les quelques badauds qui arpentent encore les rues sombres et humides avant les premières heures du jour : « osez traverser le miroir et entrer dans l’Imaginarium du docteur Parnassus, venez admirer ses merveilles ou révéler vos peurs les plus secrètes… » Tapi dans l’ombre, un personnage inquiétant observe la scène, exhalant un fanal de fumée voluptueuse, et l’on distingue deux yeux malicieux rougeoyant dans l’obscurité. Non loin de là, un inconnu attache patiemment, sans hâte, une corde à la rambarde du Blackfriars Bridge et s’apprête à mourir.
À découvrir un film de Terry Gilliam, on éprouve le même plaisir et la même jubilation qu’à explorer les trésors d’un ancien coffre au bois finement orné et vermoulu, perdu au milieu d’un bric à brac invraisemblable dans un grenier mystérieux, un lieu avec plein d’histoires propres à exalter notre imaginaire. Dans son dernier film, vous trouverez un vieillard âgé de mille ans (incarné par le très théâtral Christopher Plummer), qui a vendu l’âme de sa fille contre l’immortalité ; un inconnu chevaleresque qui va tout tenter pour la sauver; un diable formidablement campé par Tom Waits ; une Vénus aux allures de poupée de porcelaine jouée par la ravissante Lily Cole, et plein de mondes merveilleux et cauchemardesques. Au croisement de Bandits Bandits et du Baron de Munchausen, L’Imaginarium du docteur Parnassus est, comme Gilliam le dit lui-même, la synthèse de tout ce qu’il a fait jusqu’à présent.
Sa plus grande tragédie également. On le savait déjà poursuivi par une guigne ahurissante (c’est le genre de type qu’on jette à la mer en pleine tempête pour conjurer le sort) : on se souvient de sa lutte homérique contre les studios pour pouvoir sortir Brazil en 1985, de l’explosion du budget de Munchausen en 1988, de la maladie de Jean Rochefort et d’une catastrophe naturelle qui l’empêchèrent en 2001 de terminer L’homme qui tua Don Quichotte, dont il ne reste qu’un documentaire. Terry Gilliam avait connu presque toutes les infortunes du cinéma, jusqu’à ce film : au début de l’année 2008, au beau milieu du tournage, l’acteur principal Heath Ledger est mort. Heath Ledger, c’est notamment un des deux héros de Brokeback Moutain et le plus extraordinaire Joker à ce jour, qu’on a pu voir dans Dark Knight. Le tournage londonien était terminé, il restait les scènes se situant de l’autre côté du miroir, au nombre de trois, comme les Parques de l’antiquité. Il était impossible de remplacer Heath Ledger par un autre acteur, son rôle étant trop central. Terry Gilliam le remplaça par trois : Johnny Depp, Colin Farrel et Jude Law, qui s’impliquèrent simplement par amitié. C’est ce qui fait de L’Imaginarium du docteur Parnassus un objet précieux et bouleversant car l’histoire même du tournage vient résonner dans celle que raconte le film, l’histoire d’un homme condamné qui traverse une ultime fois le miroir de l’imaginaire.
« Ce film représente beaucoup pour moi mais je ne suis pas sûr de savoir pourquoi. Son déroulement a été complexe, émouvant, cauchemardesque, merveilleux, magnifique, épouvantable… Tellement de choses extrêmes à la fois ! Je le suspecte pourtant d’être l’une de mes plus belles réalisations. J’étais terrifié à l’idée de ne pas pouvoir le terminer. Le film est magique, trépidant, touchant et drôle. C’est certainement mon œuvre la plus mature mais aussi la plus juvénile ! » Terry Gilliam