Air Doll, un film « gonflé »
Par Rodolphe le lundi, juin 7 2010, 22:35 - Lien permanent
Écrit et réalisé par Hirokazu Kore-eda (Japon 2009 1h56) - avec Bae Doona, Arata, Itsuji Itao, Joe Odagiri, Masaya Takahashi, Ryo Iwamatsu, Susumu Terajima… D’après le roman graphique de Gouda Yoshiie, Philosophical Discourse,The Pneumatic Figure of a Girl.
« En février 2000, la bande dessinée The Pneumatic Figure of a Girl de Gouda Yoshiee est parue aux éditions Shogakukan. Je me souviens parfaitement à quel point ce manga m’a ému. Une poupée, remplie d’air par l’homme qu’elle aime, sillonne la ville de nuit et se dit : “Mon corps est rempli de son souffle. Je ne pourrai sans doute jamais me remplir d’air toute seule. Même si je dois y laisser ma vie, cela m’est égal.” »
C’est ainsi que Kore-Eda raconte les origines d’Air Doll, récit poétique particulièrement gonflé de l’existence fragile d’une « poupée d’air ». D’une histoire ténue qui aurait pu facilement être lourde, vulgaire, artificielle voire ridicule (c’est quand même l’histoire d’une poupée gonflable, objet plutôt triste et sordide a priori), on s’étonne et s’émerveille à chaque instant de l’incarnation miraculeuse de cette poupée par l’actrice Bae Doona (qu’on avait pu voir dans Sympathy for Mr Vengeance de Park Chan-wook, et The Host de Bong Joon-ho), qui lui donne cette grâce légère, aérienne, qui sied tant à son personnage. Et on y croit, et l’on s’émeut des questionnement et des élans du cœur de cette poupée dotée soudainement d’une âme qui part à la découverte du monde, des bonheurs et des souffrances de l’existence humaine, avec cette fraicheur, cette naïveté tranquille et assumée semblable à celle des meilleurs films de Frank Capra.
Hideo vit avec une poupée gonflable qu’il appelle Nozomi. La poupée est sa compagne intime : il l’habille, lui parle, dîne avec elle, et a des relations sexuelles. Cependant, à l’insu de Hideo, Nozomi a été créée avec un cœur. Un matin, alors qu’Hideo est au travail, Nozomi prend vie et décide d’explorer le monde extérieur…
Elle s’aventure alors dans les rues de la ville, fascinée par tout ce qu’elle voit, mais les gens qu’elle rencontre sont incapables de lui expliquer ce que veut dire « être en vie »… C’est en poussant la porte d’un vidéoclub qu’elle obtient enfin une réponse : elle fait la connaissance de Junichi, le vendeur, et tombe aussitôt amoureuse de lui. La poupée est embauchée au magasin et noue chaque jour des liens de plus en plus forts avec Junichi : ils vont ensemble au cinéma et sillonnent la ville… comme un couple. La poupée est parfaitement heureuse jusqu’au jour où elle se coupe la main par accident et se met à dégonfler devant Junichi…
À partir d’un objet qui évoque des existences misérables et solitaires, Kore-Eda file la métaphore des rapports entre les êtres comme avec des objets, dans nos sociétés urbaines ultra-modernes régies par la consommation, usines à fabriquer de la solitude. Les hommes peuvent-ils combler leur propre vacuité ? Quel est le sens de la vie ? Qu’est-ce qu’un être humain ? Telles sont les questions qu’amène à se poser aux personnes qu’elle croise cette poupée qui ne manque décidément pas d’air : « Moi aussi je suis toute vide — À notre époque ils le sont tous. »