mardi, février 10 2015

Citizenfour

Film documentaire de Laura Poitras (USA / Allemagne 2014 1h53) - avec Edward Snowden, Glenn Greenwald, William Binney, Jacob Appelbaum, Ewen MacAskill… FAVORI POUR L’OSCAR DU MEILLEUR DOCUMENTAIRE


Citizenfour.jpgImaginez si la rencontre entre Bob Woodward et Carl Bernstein du Whashington Post avec « Gorge Profonde » dans un parking souterrain avait été filmée, et qu’en résulte un documentaire sur l’affaire du Watergate. Ce serait encore peu de chose en comparaison du document exceptionnel et sidérant qu’est Citizenfour, à la fois l’Histoire filmée en train de se produire, le portrait passionnant du plus célèbre lanceur d’alerte des années 2000, et sans doute le film le plus emblématique de l’atmosphère des années post-11 septembre.

Janvier 2013. Laura Poitras travaille depuis deux ans sur le troisième volet d’une trilogie dédiée à l’Amérique d’après le 11 septembre. Les deux premiers, My country, my country, puis The oath, s’intéressaient à un docteur se présentant aux élections irakiennes de 2006, et à l’ancien chauffeur d’Oussama Ben Laden. Pour son troisième film, elle travaillait depuis deux ans sur un documentaire traitant des dérives sécuritaires américaines. Autant dire qu’elle est déjà « ciblée » par la NSA, et familière des fouilles systématiques quand elle entre sur le sol US. Elle est alors contactée par un correspondant anonyme, sous le pseudonyme de « Citizenfour », qui lui donne des instructions pour chiffrer leur correspondance, pour lui transmettre des informations confidentielles. Il lui demande d’impliquer le journaliste du Guardian Glenn Greenwald, connu en 2010 pour son travail d’investigation sur l’arrestation et la détention de Bradley Manning, qui avait transmis des documents militaires classifiés à Wikileaks.

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dimanche, février 23 2014

At Berkeley

Documentaire de Frederick Wiseman (USA 2013 4h04).


At-berkeley-1.jpg« Je pense que c’est aussi important de montrer des gens intelligents, tolérants et passionnés par leur travail, que de faire des films sur les échecs, l’indifférence et la cruauté d’autres personnes. » Frederick Wiseman


Gourmandise gargantuesque au pays d’« apprends ce que tu voudras », le nouveau film de Frederick Wiseman (littéralement Frederick « l’homme sage ») est un monument de quatre heure zéro quatre, une aberration, une erreur 404 surgie dans la civilisation du tweet aux cent quarante caractères. C’est une invitation à sortir du flux informationnel simplificateur, poser son cul sur l’herbe du campus et prendre le temps de la réflexion, de la rêverie utopique.
Ce n’est pas ici le campus de l’Abbaye rabelaisienne de Thélème, mais l’une de ses fières descendantes, l’Université de Berkeley, une des meilleures universités au monde et la plus prestigieuse université publique américaine. Fondée en 1868, elle devint mondialement célèbre lors des manifestations étudiantes contre l’engagement des États-Unis au Viêt Nam. Cette période d’agitation sociale sur le campus remonte au Free Speech Movement, qui débuta à Berkeley en 1964 et inspira l’attitude politique et morale de toute une génération.

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mardi, novembre 13 2012

Cogan - Killing them softly

Cogan-affiche.jpgÉcrit et réalisé par Andrew Dominik (USA, 2012, 1h37, sortie le 5 décembre), avec Brad Pitt, Richard Jenkins, James Gandolfini, Ray Liotta, Scoot McNairy, Sam Shepard, Vincent Curatola, Ben Mendelsohn… D’après le roman de George V. Higgins, L’Art et la manière.

Après L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (où jouait déjà Brad Pitt), superbe western lyrique à l’atmosphère victorienne, le cinéaste néo-zélandais réalise pour son troisième film un polar lui aussi très stylisé mais au récit nettement plus dense et rythmé, explorant à nouveau avec un regard décalé l’Amérique et ses mythes. On pourrait convoquer les influences de Tarentino pour les dialogues surréels, des Coen pour le comique de situations absurdes, de Scorsese pour sa description violente de la mafia, et même de James Gray pour la mise en scène et en particulier l’usage très classe des ralentis dans les séquences de fusillades. Mais Andrew Dominik, plus qu’une synthèse du Panthéon du polar moderne, réalise ici le premier polar de l’Amérique en crise, un remix du genre au même titre que la magnifique reprise par les Fugees de Killing me softly with his song, connue par l’interprétation de Roberta Flack (le titre original de Cogan, Killing them softly, avait quand même plus de gueule…).

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lundi, juin 6 2011

The Murderer

The Murderer(THE YELLOW SEA) Écrit et réalisé par NA Hong-jin

Trois ans après l’impressionnant The Chaser, thriller baroque époustouflant et premier film (le réalisateur était encore étudiant à l’époque !), Na Hong-jin revient avec The Yellow Sea, à nouveau un polar au rythme haletant et tenu tout du long (on ne voit vraiment pas passer les 2h20), joué par les deux même interprètes (dans des rôles radicalement opposés), mais la comparaison s’arrête là. Si le précédent film était un exercice de style brillant, on est ici face à une œuvre infiniment plus complexe et subtile, et dont la dramaturgie puissante dépasse de loin le cadre de la série B.
Comme souvent dans le cinéma coréen, Na Hong-jin s’embarrasse peu des cases, des codes propres au cinéma de genre, et puise à loisir dans toute la palette pour raconter au mieux, au plus serré, cette histoire sombre et tragique, profondément ancrée dans la réalité sociale des quelques 800000 Sino-coréens qui vivent à Yanji, ville chinoise coincée entre la Russie et la Corée du Nord, sur les rives de la Mer Jaune (qui donne au film son bien meilleur titre original, The Yellow Sea), bras de mer séparant la Chine de la péninsule coréenne, que les « joseon-jok » traversent au péril de leur vie, dans les soutes de cargos rongés par la rouille, pour aller chercher du travail en Corée du Sud.

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lundi, mai 23 2011

Cannes 2011

Compte rendu rapide des 32 films vus cette année, quelques vidéos aussi sur Tumblr (bon un peu pourries, c’était pris avec le téléphone…)

Portrait-d_une-enfant-dechue.jpgPortrait d’une enfant déchue : très beau film de Jerry Schatzberg, fragilité émouvante de Faye Dunaway, invisible depuis longtemps (même Michel Ciment était dans la salle pour enfin voir ce film).

Habemus Papam : el Piccoli e molto grande ! Une scène de conclave inoubliable, un l’anticléricalisme affectueux, de l’ironie imprégnée d’une compassion toute chrétienne pour cet homme reclus à qui il est demandé de porter tous les malheurs du monde. On retiendra aussi le passage où Moretti explique aux cardinaux que la bible est un ouvrage de dépressifs :)

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lundi, août 2 2010

Poetry

Écrit et réalisé par Lee Chang-dong (Corée du Sud  2010  2h19) - avec Yun Jun-hee, Lee David, Kim Hira, Ahn Nae-sang - Prix du scénario, Cannes 2010.

Poetry
Poésie, en Coréen, se prononce « si », une seule syllabe, délicate, à peine un souffle, un murmure dans les feuillages d’une brise printanière. Poetry est ainsi, d’une délicatesse, d’une grâce infinies, portées par son interprète principale, Yoon Jung-hee, quasi inconnue chez nous mais la plus populaire actrice de l’âge d’or du cinéma coréen, ayant joué dans plus de 330 films (!!!), absente des écrans depuis plus de seize ans, et qui aurait largement mérité le prix d’interprétation féminine à Cannes cette année.
Lee Chang-dong signe ici son cinquième film, après nous avoir bouleversés avec Oasis et Peppermint Candy, éblouis avec Secret Sunshine (prix d’interprétation féminine à Cannes en 2007). Son œuvre s’inscrit dans la tradition d’un cinéma asiatique qui filme l’essence des êtres, comme le maître japonais Ozu savait si bien le faire. L’époque a pourtant bien changé, le délitement de la langue, l’utilisation vulgaire et fascisante des mots par nos « élites » politiques rendent d’autant plus précieuse l’histoire de Mija, l’héroïne de Poetry.

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lundi, juin 7 2010

Air Doll, un film « gonflé »

Écrit et réalisé par Hirokazu Kore-eda (Japon 2009 1h56) - avec Bae Doona, Arata, Itsuji Itao, Joe Odagiri, Masaya Takahashi, Ryo Iwamatsu, Susumu Terajima… D’après le roman graphique de Gouda Yoshiie, Philosophical Discourse,The Pneumatic Figure of a Girl.


« En février 2000, la bande dessinée The Pneumatic Figure of a Girl de Gouda Yoshiee est parue aux éditions Shogakukan. Je me souviens parfaitement à quel point ce manga m’a ému. Une poupée, remplie d’air par l’homme qu’elle aime, sillonne la ville de nuit et se dit : “Mon corps est rempli de son souffle. Je ne pourrai sans doute jamais me remplir d’air toute seule. Même si je dois y laisser ma vie, cela m’est égal.” »
C’est ainsi que Kore-Eda raconte les origines d’Air Doll, récit poétique particulièrement gonflé de l’existence fragile d’une « poupée d’air ». D’une histoire ténue qui aurait pu facilement être lourde, vulgaire, artificielle voire ridicule (c’est quand même l’histoire d’une poupée gonflable, objet plutôt triste et sordide a priori), on s’étonne et s’émerveille à chaque instant de l’incarnation miraculeuse de cette poupée par l’actrice Bae Doona (qu’on avait pu voir dans Sympathy for Mr Vengeance de Park Chan-wook, et The Host de Bong Joon-ho), qui lui donne cette grâce légère, aérienne, qui sied tant à son personnage. Et on y croit, et l’on s’émeut des questionnement et des élans du cœur de cette poupée dotée soudainement d’une âme qui part à la découverte du monde, des bonheurs et des souffrances de l’existence humaine, avec cette fraicheur, cette naïveté tranquille et assumée semblable à celle des meilleurs films de Frank Capra.

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lundi, octobre 5 2009

L'imaginarium du docteur Parnassus

Réalisé par Terry Gilliam (scénario de Terry Gilliam et Charles McKeown, avec Heath Ledger, Christopher Plummer, Lily Cole, Tom Waits… ainsi que Johnny Depp, Colin Farrell et Jude Law de l’autre côté du miroir)

Londres, par une nuit froide et sans lune, une antique roulotte aux dimensions improbables, toute de guingois, biscornue et brinquebalante, s’arrête au cœur de la City endormie. Ses occupants, farfadets en guenilles, s’affairent à déployer ses atours baroques et une musique mécanique de fête foraine jaillit de ses entrailles, haranguant les quelques badauds qui arpentent encore les rues sombres et humides avant les premières heures du jour : « osez traverser le miroir et entrer dans l’Imaginarium du docteur Parnassus, venez admirer ses merveilles ou révéler vos peurs les plus secrètes… » Tapi dans l’ombre, un personnage inquiétant observe la scène, exhalant un fanal de fumée voluptueuse, et l’on distingue deux yeux malicieux rougeoyant dans l’obscurité. Non loin de là, un inconnu attache patiemment, sans hâte, une corde à la rambarde du Blackfriars Bridge et s’apprête à mourir.

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mardi, août 11 2009

Un petit air de Ragtime

Les studios Pixar ont de nouveau mis la barre très « haut » avec l’histoire de Carl Fredericksen qui a tout du Spencer Tracy de Devine qui vient diner ?, croisant sur sa route un « Dr Moreau » qui ressemble fort à Douglas Fairbanks. Comme pour la séquence d’ouverture de Wall•E, la scène muette qui construit le personnage principal de Là-Haut est magistrale de concision et d’élégance et doit beaucoup à la petite mélodie au piano composée par Michael Giacchino. Ces quelques notes m’ont trotté un moment dans la tête, mais je ne savais ce que cela me rappelait exactement…

« Bon sang mais c’est bien sûr ! », ça ressemblait furieusement à la mélodie que l’on retrouve au début et à la fin du Ragtime de Milos Forman, sur des séquences également muettes, et qui se situe au début du xxe siècle, période de la jeunesse du personnage de Là-Haut. Or, il se trouve que Pete Docter et Bob Peterson, co-réalisateurs, travaillèrent tous-deux sur Toy Story, dont la musique fut écrite par Randy Newman, qui se fit surtout connaitre dans ce domaine à partir de 1981 avec la musique de… Ragtime !

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